Archives de catégorie : Torah

Parachote Matotte-Massaë

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Ces deux parachotes ferment l’époque du désert. Les derniers préparatifs pour entrer dans la Terre Promise, la conclusion des points non résolus du séjour dans le désert, les derniers actes de gouvernement de Moïse … voici tout ce qui conforme l’ambiance générale de la fin du livre de Nombres.

En fait, ici finit le processus de la sortie d’Égypte. La sortie n’est pas le moment où ils ont abandonné la terre d’Égypte, mais toute la période où ils n’étaient pas encore rentrés dans la terre de Canaan, toute la période « d’attente », ce couloir prolongé dans le désert. Il ne s’agissait pas d’un stade physique-géographique, mais plutôt spirituel. Ils avaient beau ne plus être physiquement là, le désert symbolisait pour eux le « long bras » de l’Égypte. Il symbolise encore leur appartenance à la vieille réalité d’oppression, d’exploitation, de dépendance, servitude, idolâtrie et injustice sociale.  Tant que cet espace-là les reliait à l’Égypte, ils étaient toujours dans la sortie. A ce moment-ci, après quarante ans de défis et de changements drastiques, ils sont déjà prêts à arrêter de sortir pour entrer dans la Terre Promise et y entamer une nouvelle société.

Comme si elle faisait partie de cette clôture, la Torah résume dans une liste les places par lesquelles les israélites ont déambulé dans le désert.

Le verset qu’ouvre cette liste présente néanmoins une structure bizarre. Il se peut que grâce à cette bizarrerie, le verset soit plein de sens.

« Moïse écrivit leurs départs vers leurs voyages, ordonnés par le Seigneur ; voici leurs voyages vers leurs départs » (Nom. 33 :2)

Les départs vers les voyages… bien, on pourrait l’accepter. Mais les voyages vers les départs ? Pourquoi la répétition du thème ? Pourquoi l’inversion des concepts ? En tout cas, nous aurions pu nous attendre  à une rédaction telle que « leurs voyages vers leurs destinations » ou quelque chose de pareil rendant l’idée de but. Mais un voyage vers le départ ? La Tora nous dit qu’ils ont voyagé vers une place de laquelle ils partiraient vers une place de laquelle ils partiraient vers une place de laquelle… etc.

En fait, cet exactement ce qui leur arriva. Ils ne voyageaient pas vers une place où ils allaient s’établir, mais qui faisait parti du processus de la sortie de l’Égypte. Toutes les places étaient des points de départs, pas un terminus.

Le voyage, c’est ça l’essentiel. Dans la traversée nous apprenons, nous changeons, nous grandissons. Le but du voyage, la Torah nous dit, est l’endroit duquel nous pouvons continuer sans nous arrêter ou stagner. Sur notre verset dit le Rabbi Yehouda Arie Leïb Alter, le Guerer Rebbe à la deuxième moitié du 19éme : « Car l’Être Humain est appelé ‘marcheur’ et il doit aller toujours d’une étape à l’autre » (Sefate Émète Bemidbar, Masaë [5645]).

Celui qui encourage à s’arrêter, à stagner, est comme celui qui n’est pas pleinement prêt à sortir de l’Égypte et qui préfère de rester dans le désert, même en argumentant que là on est plus proche du Mont Sinaï.

« A chaque génération la personne doit se considérer comme si elle-même était sortie de l’Égypte ». De cette façon ses voyages seront vers ses départs pour que ses départs lui permettent de continuer dans ses voyages.

 

 

Parchat Korah

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Le sujet de Korah et sa révolte contre Moché et Aharon me semble important à cause de la réaction du peuple d’Israël face à ses paroles.

Nous pouvons effectivement comprendre la plainte de Korah. C’est simple et donne à réfléchir. Qu’est-ce qu’il dit ? « Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le Seigneur; pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur? »  (Nom. 16:3).

Il a réclamé à Moché d’arrêter de s’approprier l’autorité et de partager équitablement le pouvoir entre tous. Il réclame la démocratie, parce que chacun peut gouverner et a le droit de le faire.

Cette demande est juste, et non seulement à nos yeux d’hommes modernes. Il a probablement été ainsi pour Moché qui, quelque temps auparavant, a rejeté le zèle du pouvoir de Joshua et n’a pas arrêté Eldad et Meidad, qui prophétisaient dans le camp quand  Moché et les soixante-dix anciens étaient dehors. En plus, il a blâmé Josué en lui disant: « Es-tu jaloux pour moi ? Plaise au Ciel que tout le peuple de l’Eternel fût des prophètes ! » (Nom. 11:29).

L’égalité et la démocratie…ce n’est pas bien?

En vérité, il ne s’agit ni de l’égalité ni de la démocratie. Le problème est que les paroles de Korah n’étaient que la Une du journal. Le contenu de ce qu’il demandait vraiment n’est évident que lorsque Moché le rappelle à l’ordre: « Est-ce trop peu pour vous que le Dieu d’Israël vous ait distingués de l’assemblée d’Israël …et vous demandez encore le sacerdoce ?! » (Idem 16:9-10).

Korah cherchait donc à avoir, lui-même et ses camarades, plus de pouvoir. Il ne cherchait pas une juste division du pouvoir.  Il voulait être Levi et prêtre en même temps.

Toutefois, l’opinion publique le voyait en tant que héros qui faisait des sacrifices au profit du peuple. Son discours et ses actes étaient ceux d’un démagogue, qui profite de la réaction émotionnelle et incontrôlée des masses pour parvenir à ses objectifs personnels.

Le peuple s’est laissé importer par l’apparence de justice, sans vraiment évaluer la situation. Le peuple jugea très vite aussi bien Moché que Korah, sans vérifier, sans considérer,  sans discerner. Si cela semble être vrai, alors il en est ainsi.

Et nous voilà face au nœud du problème qui présente notre parasha. Car cette perception rapide qui détermine le destin à partir d’une impression superficielle, présage des catastrophes. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé : la mort et la destruction.

Pourquoi le récit de Korah vient juste après l’ordonnance du tztizit (les franges qui doivent être placées sur les bords des vêtements) ?  Il y a un midrache qui explique que Korah avait pris un tallite, une robe, entièrement réalisé en tekhélète, le produit avec lequel juste un fil du tzitzit devrait être teint, et est venu demander Moché si, en dépit d’être tout en tekhélète, il devait mettre un tzitzit. Moché lui a dit qu’il devait le faire et Korah s’est moqué de lui et des lois (Talmud Jer . Sahèdrine 10:5 ; Bemidbar Rabah Korah 18:3).

Mis à part ce midrache, n’oubliez pas qu’un élément central dans le commandement de tzitzit exige : « Vous ne prospecterez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux, après lesquels vous vous égarez » (Nom. 15:39). Le cœur, dans la Bible, symbolise la pensée. Ne permettez pas que votre pensée se perde derrière les apparences qui voient vos yeux. Examinez, évaluez, discernez. Voilà la sainteté et voilà ce que nous devons faire.

L’histoire de Korah, la réaction des gens à des discours démagogiques, est l’exemple inverse de ce que la Torah attend de nous, de ce que Dieu nous a ordonné de garder à l’esprit avec le commandement des tzitzit. «Vous ne prospecterez pas » ; mais ils ont fait exactement le contraire. Ils ont été très rapidement influencés par ce que leurs yeux voyait, ont été captivés par la voix agréable d’un tyran populiste qui adoucit ses mots avec des vanités plaisantes, vitement absorbées et qui entravent le bon sens, la logique et la perception de la réalité.

Plaise au Ciel que tout le peuple de l’Eternel fût des prophètes ! Des prophètes et pas un troupeau qui suit le chant des sirènes.

Parchat Va-yigache

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Dans notre paracha il y a un petit et étrange dialogue entre le Pharaon et Yaakov:

« Pharaon dit à Yaakov : ‘Quel est le nombre de jours de ta vie?’ Yaakov répondit : Les jours de ma demeure sont de cent trente ans. Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais, et ils n’ont point atteint les jours de la vie de mes pères durant leur demeure’ ». (Gen. 47:8-9). Une réponse étonnante à une question en apparence innocente du Pharaon.

Yaakov fait une distinction entre “vie” et “demeure”, même si celle-ci n’avait pas été la question posée. Rabbi Yitzhak Karo, dans son commentaire « Toledot Yitzhak », dit que « demeure » fait référence à déambuler dans la vie (« megourime » [=demeure] est lié à « gueroute », être étranger et errant). « Vie », par contre, fait référence à une bonne vie. Yaakov est un étranger errant dont les bons jours ne sont qu’apparents. Rabbi Shimshon Raphaël Hirsch explique que « vie » est le temps où on mène à bien une tâche substantielle, tandis que « demeure » parle de la vie en général. Notre patriarche ressent que sa tâche substantielle dans la vie a été petite et mauvaise.

Yaakov dit que les jours de sa vie ont été mauvais. Mauvais ? On lui a accordé la grâce divine réservée à très peu d’élus ! Il est parvenu à surmonter des obstacles très difficiles et à renouveler son âme. Voilà pourquoi Dieu a changé son prénom pour celui d’Israël ! Il a fuit privé de tout, il est toutefois retourné riche et puissant. Il a fait la paix avec son frère et a réussi à habiter la terre de ses pères. Il a élevé douze fils qui suivent tous les sentiers de leurs ancêtres, tout en étant fidèles à Dieu. Ni Abraham, ni Yitzhak n’ont réussi ce but ! (Yichemaël, Zimrane, Yoquechane, Medane, Midiane, Yichebak, Chouah et Esav en sont la preuve). Il a retrouvé son fils bienaimé qu’il croyait mort.

Est-ce que Yaakov n’est pas conscient de ses réussites? Bien au contraire, il l’est. Il connait très bien ce qu’il a achevé. Même, il en remercie Dieu : « Je suis trop petit pour toutes les grâces et pour toute la fidélité dont tu as prodiguées ton serviteur » (Gen. 32:11). La douleur de son âme ne peut cependant pas s’apaiser par les données positives de sa vie. Il existe une différence presque abyssale entre ce que l’on voit de l’extérieure et ce que la personne ressent et vie de l’intérieur. Le sentiment intérieur profond de Yaakov est que tout va mal. Si pour le convaincre de ce qu’il va bien, on ne fait que lui montrer ses réussites, on lui dit en fait, que son sentiment n’est pas correct. Pourtant ce qu’il ressent est très fort et manifeste ! L’encourager de cette façon ne fait qu’augmenter la brèche entre ses univers intérieur et extérieur. Ceci exacerbe sa douleur.

« Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais ». C’est à partir de ce point-ci, et non pas de la tentative de le contredire, que l’on peut aider Yaakov à regarder différemment sa vie et son âme. Seulement si nous comprenons véritablement et sincèrement ce stade de douleur, nous pouvons aider celui qui exprime, comme Yaakov : Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais.

Parchat Miketz

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Simone, on ne l’entend pas.

Yossef, si puissant en Egypte, oblige ses frères à ce que l’un d’eux reste en tant qu’otage… et il choisit pour ceci, Simone. On n’entend pas de plaintes, d’oppositions, d’imploration… on n’entend ni les frères ni Simone.

Du même, il y a treize ans, quand les frères, ont jeté Yossef dans le puits, on n’a pas entendu de plaintes, de requêtes, d’imploration. Yossef aussi, il s’est tu.

Vraiment ?

Dans notre paracha, nous découvrons finalement que Yossef a crié et supplié ses frères… mais ils ne l’ont pas écouté : « certes, nous sommes coupables à l’égard de notre frère ; car nous avons vu l’anxiété de son âme ; lorsqu’il nous suppliait, nous ne voulions pas écouter.» (Gen 42 :21) Pourquoi la Torah ne nous a pas raconté, dans la parachat Vayèchev, la clameur et les implorations de Yossef ? Peut-être pour nous faire sentir le manque d’écoute de ses frères. Yossef crie et nous, comme ses frères, ne l’entendons pas. C’est avec un exemple difficile et participatif que la Torah nous fait comprendre.

Probablement Simone implore et clame, mais ils ne sont pas prêts à l’entendre.

La difficulté à entendre, la difficulté à accepter la voix de l’autre, est un sujet central dans les relations entre les fils de Yaakov.

Maintenant, ils discutent, face à Yossef, la demande de leur frère cadet qu’ils avaient jeté au puits sans vouloir l’entendre. Ils discutent et ne font pas attention aux autres. Yossef entend, Yossef comprend et ils n’en tiennent pas compte  puisqu’ils supposent que lui, il ne les comprend pas. Et, s’il ne comprend pas, cela n’a aucune importance. On peut discuter devant lui sans en tenir compte !

Par contre, Yossef est ouvert aux problèmes d’autrui. Il est ouvert aux autres et il est ouvert pour entendre et comprendre. Voilà pourquoi Yossef est capable d’interpréter des songes, le langage occulte de Dieu et de l’âme.

Les frères sont tellement centrés sur eux-mêmes qu’ils ne sont pas disponibles spirituellement, ils ne peuvent pas accorder aux autres une dimension d’existence : Yossef est là et ils ne le reconnaissent pas. Simone est là, et ils ne l’entendent pas. Jacob exclame : « vous m’avez privé d’enfants ; Yossef n’y est pas, Simone n’y est pas, vous voulez encore prendre Biniamine » (Gen 42 :36) et ses fils ne sont pas capables de le comprendre. A tel point que Reuven propose d’agrandir la perte « tu peux tuer mes deux enfants »… Ce sont les petits enfants de Yaacov! Comme si perdre trois enfants ne suffisaient pas, Reuven propose de lui faire perdre cinq!

L’épreuve de Yossef les oblige à ressentir  le manque d’attention. Ils se présentent et expliquent leurs intentions, mais lui, comme s’il n’entendait pas, décide de les accuser d’être des espions : « Nous sommes tous enfants d’un même homme, nous sommes honnêtes gens, tes serviteurs n’ont jamais été espions » (Gen 42 :11) Aucune explication n’est suffisante ; « il en est comme je vous ai dit,  vous êtes des espions ! » (Gen 42 :14). Ils éprouvent le désespoir de celui qui parle et n’est pas entendu.

La longue et dure épreuve que Yossef les oblige à subir produit chez eux une révolution spirituelle et les fait comprendre ce qu’ils n’avaient point compris jadis. Ils commencent à s’entendre, ils sortent de leur bulle et sont désormais capables de voir l’existence de l’autre.

Cette révolution spirituelle est la base du développement du peuple d’Israël, le Peuple qui est prêt à recevoir la Torah et qui la mérite, qui est prêt à entendre la voix de Dieu, à élever l’existence de l’humanité au niveau du respect vital et à lire ,nuit et jour, pour entendre et comprendre.

Parchat Vayéchève

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Normalement, nous accordons peu d’importance aux petits faits et aux mots dits comme si de rien n’était. Comme s’ils n’avaient point d’influence. Comme si une conséquence critique ne dépendait que des faits importants et réfléchis. Comme si les changements radicaux de l’histoire ne se trouvaient qu’entre les mains des personnalités renommées, expérimentées et connues dans le domaine où le changement a lieu. Voilà une façon répandue de penser.

Notre paracha nous signale une réalité toute différente. Beaucoup plus triviale, plus quotidienne, plus « nôtre ». Une réalité qui semble banale… même si elle ne l’est point.

Jacob envoie Josef chercher ses frères qui sont sortis pâturer le bétail de leur père à Chehème. Josef ne les voit pas. Il sillonne la contrée mais n’arrive pas à les trouver.

Jusqu’ici, le récit d’une situation qui pourrait nous arriver à nous aussi : on prend rendez-vous et on ne se retrouve pas. Qu’est-ce qu’on fait ? On attend, on cherche et après un certain temps, on repart. Cette fois-ci, on ne s’est pas vu, la prochaine fois on se verra.

Cependant dans la paracha, Josef rencontre un homme anonyme, dont le seul rôle est de lui poser une question : « De quoi as-tu besoin ? ».  C’est-à-dire « As-tu perdu quelque chose ? T’es-tu égaré ? Peux-je t’aider? “.  Un fait quotidien, simple, courtois mais simple. Le fait d’un homme anonyme. Un fait qui ne devrait pas provoquer une révolution transcendante. « Ils sont partis à Dothan », voilà toute la contribution de cet homme anonyme.

Vraiment la seule ?

Si cet homme ne s’était pas adressé à Josef et ne lui avait pas donné ce renseignement presque trivial, Josef n’aurait pas été vendu à l’Egypte, il ne serait pas devenu vizir, il n’aurait pas emmené son père et ses frères à la diaspora en Egypte, nous ne serions pas devenus esclaves dans une terre étrangère, nous n’aurions pas été rachetés, nous n’aurions pas reçu la Torah au Mont Sinaï, nous ne serions pas rentrés dans la Terre Promise, notre esclavage n’aurait pas été l’exemple et la base des mitzvot fondamentales de la civilisation juive telles : le Chabbat, l’amour de l’autre, le respect pour l’esclave et le dédommagement de l’esclavage, la justice judiciaire, la justice envers les démunis, la justice sociale et l’aide aux nécessiteux.

Un seul petit fait et un homme anonyme… et toute notre histoire s’est développée tel qu’elle l’a fait.

Le Saint Bénit est Il avait dit à Abraham que sa semence serait esclave dans une terre étrangère et qu’Il allait affranchir ses descendants. Mais Il n’a précisé ni le lieu, ni le temps, ni la façon dont les faits devaient se dérouler. Il n’a pas précisait qui seraient impliqués et comment allaient-ils réagir. Tout ceci est dans les mains des êtres humains.

Et cet homme anonyme, avec son fait banal, a changé l’histoire.

Nous sommes tous cet homme anonyme. Nous ne devons jamais mépriser l’importance de ce que chacun d’entre nous est capable de faire. Nous ne devons pas oublier le pouvoir de notre parole. Sa force de construction et sa force de destruction.

Parchat Vayichelah

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« Nous sommes allés vers ton frère Esaü; et il marche à ta rencontre, avec quatre cents hommes. » (Gen. 32,7 (6))

Que voulaient-ils dire, en fait, les émissaires envoyés par Jacob ? Selon une interprétation très répandue, Esaü vient à sa rencontre pour faire la guerre : « nous sommes allés vers ton frère, mais lui, il agit comme Esaü qui te hait » (Berechit Rabba, Pseudo-Jonathan, Rashi, Radak). D’autres voient dans ce compte rendu, le simple récit des faits tels qu’ils sont : « il vient vers toi comme tu vas vers lui » (Ibn Ezra, Ramban). Et il y en a qui voient la joie de la rencontre : « Esaü arrive avec un grand cortège recevoir son frère dans la joie et l’allégresse » (Rashbam, Hezkouni).

Comment transmet-on une annonce ? Comment signifie-t-on  à quelqu’un le message d’un tiers ?

Même s’il n’y a pas une seule voie, une seule façon de le faire, le porteur de l’annonce se doit de respecter trois qualités essentielles : objectivité, empathie et maitrise de la sensibilité émotionnelle.

Objectivité pour se limiter aux faits, sans rajouter ou soustraire des détails.

Empathie pour essayer de comprendre ce que ressent le récepteur des nouvelles, sans s’engager émotionnellement. Car les émotions peuvent empêcher notre compréhension de l’autre ; nous nous adonnons à nos propres sentiments et nous risquons de ne nous laisser conduire que par eux.

Maitrise de la sensibilité émotionnelle pour comprendre le remous émotif que nous éprouvons, en évitant l’intromission de nos sentiments. Nos propres émotions risquent de provoquer soit de l’éloignement et de la froideur (si l’annonce nous est difficile), soit une surexcitation, soit la décision de ne pas transmettre une information qui nous est insupportable (car nous croyons que cette révélation serait cruelle pour celui qui la reçoit). Dans d’autres mots, nos propres sentiments nous empêchent la véritable compréhension des sentiments de l’autre, éblouissent notre âme et ils peuvent même nous mener à réagir de façon paternaliste : « mes sentiments savent mieux que lui ce qui lui convient ». Et avec ceci, nous ne devons pas annuler nos sentiments ou les empêcher d’agir. Le défit reste de les maitriser.

Au moment de transmettre une annonce, soit-elle mauvaise ou bonne, ces trois qualités doivent être présentes ensemble. Si nous ne tenons compte que d’une seule, nous risquons de transmettre un message erroné, inadéquat, dont les conséquences pourraient être néfastes, même si nos intentions étaient positives… tels les émissaires de Jacob.

Ils n’ont pas réussi à mettre en pratique deux de ces trois qualités. Ils étaient objectifs dans leur rapport, mais ils n’étaient pas empathiques et ils n’ont pas maitrisé leur sensibilité émotionnelle. Ils ont décrit les faits sans tenir compte de la situation de Jacob, de la difficile relation qu’il entretenait avec son frère, de ses craintes, de la menace de mort suite à laquelle il a dû fuir la terre à laquelle il rentrait ce jour-là. Ils sentaient peut être que Jacob ferait mieux de ne pas rentrer. Ils haïssaient peut être Esaü. Ils ne voulaient peut être pas influencer Jacob et ont choisi l’objectivité. Quoi que ce soit, ils n’ont pas été sensibles, comme la situation l’exigeait.

Les émissaires de Jacob ont transmis des faits sans leur contexte. Trop d’objectivité qui n’est pas objective à la fin, puisqu’elle ne fait référence à aucun contexte. Mais celui-ci est une partie inséparable de la réalité.

Et ainsi, ils ont permis aux craintes et aux appréhensions de Jacob de teindre les données des couleurs de la destruction et de la perte. Son effroi du passé l’a envahi et lui a empêché de juger sa réalité présente, qui était différente.

Il n’est pas facile de faire agir les trois composantes de la transmission d’une annonce. L’empathie et la maitrise de la sensibilité émotionnelle sont particulièrement difficiles à gérer. Mais les ignorer, c’est rejeter l’énorme responsabilité d’être émissaire.

Parchat Va-yetzé

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Yaakov est un personnage très complexe qui nous met face à des dilemmes et des vécus très proches de notre propre expérience de vie. Sa façon de réagir face aux défis qu’il rencontre nous pousse à réfléchir sur nos propres convictions, nos principes, notre foi. Comment aurions nous réagis à sa place ? Qu’est-ce qu’il nous apprend, nous, ses descendants, par son comportement ?

Une position très répandue dans notre vie est le doute vis-à-vis de la confiance en Dieu. Nous sommes habitués à considérer que ce doute est la conséquence des temps modernes, de cette époque de scepticisme spirituel fruit de la vision scientifique qui règne dans la société d’aujourd’hui.

Pourtant notre paracha nous montre que ce doute existe depuis toujours. Nous le trouvons chez Abraham et chez Yitzhak, qui mentent à l’égard de leurs femmes pour que les habitants du pays ne les tuent pas… malgré la promesse divine de protection !

Dans le cas de Yaakov; nous retrouvons le doute quand il commence à établir des conditions pour croire et faire confiance en Dieu. La Torah nous dit : « Yaakov fit un vœu, en ces termes : Si Dieu est avec moi et me garde pendant ce voyage que je fais, s’il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir,et si je retourne en paix à la maison de mon père, alors l’Eternel sera mon Dieu » (Gen. 28:20-21)

Yaakov fixe donc une série de conditions pour accepter le Saint, Béni est Il, comme son Dieu : « S’Il me donne ceci et cela, alors Il sera mon Dieu ».

Nombreux exégètes refusent cette idée, des conditions mises par Yaakov. Certains disent que notre patriarche craignait; en fait, que ses mauvaises pulsions le mènent à des erreurs qui le feraient perdre le droit à la protection divine (Radak et Hizkouni, parmi autres). D’autres considèrent qu’il ne s’agit pas de conditions, mais d’un serment : « Quand Dieu aura accompli ce qu’Il m’a promis, je viendrai l’adorer ici, dans ce même endroit » (Ramban, Rabénu Bahya ben Achère, Rabbi Haïm Paltiel, Roche, Keli Yakar).

La lecture simple et directe de ces versets nous présente, cependant et avant tout, le doute, le dilemme, le manque de confiance de notre père Yaakov. Il n’avait pas la certitude que la promesse de Dieu tiendrait. Il ne se trouve qu’au début de son parcours spirituel : il a reçu la foi et la confiance en Dieu de ses parents et ses aïeuls, mais il n’a pas encore développé sa propre foi personnelle. Jusqu’à maintenant ses expériences de vie auraient pu installer le doute plutôt que l’assurance, dans sa confiance : son père lui préfère son frère, il reçoit la bénédiction paternelle par le biais d’une duperie et celle-ci n’est attribuée qu’à quelqu’un appelé Esav ; sa mère lui avait assuré que tout mal qui pourrait avoir lieu suite à cette tromperie tomberait sur elle (« Que ta malédiction retombe sur moi, mon fils! »), mais c’est Yaakov qui doit fuir maintenant, sans que sa mère soit là pour le protéger.

Ce doute n’est pas seulement le sien. Il est aussi le nôtre. Soit au niveau individuel, soit au niveau du Peuple, nous nous retrouvons jour après jour dans une brume vis-à-vis de notre confiance en la promesse de Dieu au peuple Juif. Nous croyons… et nous nous demandons. Nous faisons confiance… pourtant nous doutons. Nous ressentons parfois que nous ne pouvons compter sur personne, hormis notre Père céleste… il y a pourtant des fois où nous ressentons tout simplement que nous ne pouvons compter sur personne ; un point, c’est tout.

La croissance spirituelle, le dialogue avec le Saint, Béni est Il, ne sont pas achevés sans le doute. L’aboutissement vient par la confrontation profonde avec nos doutes spirituels et par la construction à nouveau, tous les jours, de notre confiance en Dieu. Le développement spirituel de Yaakov est le symbole de cette confrontation, de ce chemin qui nous mène du doute à la compréhension profonde du lien entre Dieu et Son Peuple Israël. Yaakov a beau avoir appris dans sa jeunesse la difficulté de faire confiance, il a compris au bout du temps que même si « mon père et ma mère m’abandonnent, l’Eternel me recueillera » (Psaume 27:10). C’est à ce moment-là qu’il devient Israël et cesse d’être simplement Yaakov. Yaakov fixe de conditions, Israël est reconnaissant du Seigneur. Yaakov s’en fuit, Israël retourne. Yaakov est plein de doutes, Israël cherche la confiance. Yaakov attend une seule et unique réponse à ses besoins, Israël comprend que la vie est très complexe et qu’il n’existe pas une seule solution possible face aux défis que nous trouvons dans le chemin. Comme il est écrit : « Même quand je marcherais par la vallée de l’ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal; car tu es avec moi » (Psaume 23 :4)

Parchat Toledot

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Le niveau d’indépendance ou de dépendance que nous développons dans notre relation parents-enfants est un des défis que nous propose la paracha “Toledot”.

La Torah commence cette paracha: “Ceci est l’histoire d’Isaac » [ve-ele toledot Yitzhak]. Cependant, par la suite, elle ne rappelle pas les descendants d’Isaac (comme elle le fait dans des cas similaires) mais reprend la descendance d’Abraham : « Abraham engendra Isaac ». Un midrache célèbre dit que Dieu fit le visage d’Isaac identique à celui d’Abraham pour que tous puissent voir que ce fut Abraham qui engendra Isaac (Midrache Agadà Berechit 25:19 et  Rashi aussi). Nos Sages ont sans doute senti la difficulté d’Isaac à se séparer de l’image de son père. Dans cette paracha, à plusieurs reprises, nous rencontrons Isaac qui imite le comportement d’Abraham. Cependant ses résultats sont moins réussis. L’imitation des réussites de la génération précédente ne garantit pas de bons résultats pour cette génération.

La relation de dépendance d’Isaac envers son père, ou bien la difficulté d’Abraham pour permettre le libre développement de son fils cadet, a entravé l’évolution autonome d’Isaac… Qui le sait ? Le récit du sacrifice d’Isaac symbolise peut être l’immolation du fils dépendant à l’autel du père étouffant ? Et Dieu dit « Laisse-le marcher ! »

Un enseignement pour toutes les générations.

Plus tard, nous voyons les frères Esaü et Jacob face au défit imposé par leurs parents : leurs noms, qui marquent un comportement, la préférence, qui détermine un comportement. Les noms : Esaü, un homme d’action (ésav-aso = alef-samakh-vav = faire), un homme du travail manuel. Une personne des faits dépourvus de pensée, de réflexion ou d’analyse, une personne démunit de toute capacité d’évaluer. C’est un homme d’ici et maintenant, soit il fait, soit il meurt. Par contre Jacob est une personne qui atteint son but par une voie indirecte : il guette [okev], contourne  [okef], poursuit [meaqev], entrave  [meakev]. Tous les deux répètent ce que leurs parents ont établis pour eux et tous, parents et enfants, rentrent dans une série d’actions-erreurs qui perpétuent la difficulté de reconnaitre la valeur et la différence de chacun ainsi que la valeur de la différence de chacun.

Un autre enseignement pour toutes les générations.

Nous devrons attendre deux parachot, vingt et un ans et beaucoup de souffrances des deux côtés (particulièrement du côté de Jacob) pour que les frères arrivent à se libérer de la marque de leurs parents… et ils se trouvent et se retrouvent et se connaissent et se reconnaissent… mais les blessures et les cicatrices vont perdurer.

Ils voulaient tous le mieux pour ses enfants. Mais ils ne regardaient pas toujours ses enfants. En vérité, ils voyaient leur propre reflet sur ses enfants, ils oubliaient que « toledot », les générations, parle de l’avenir et non du passé. Toledot nous dit « nous donnons, conduisons, montrons, enseignons… et vous poursuivez votre  chemin sans imiter ».