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Le hametz, aujourd’hui comme jadis

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jametz-matza-libertadLa fête de Pessah approche et les nettoyages ont déjà commencé. Il y a ceux qui nettoient, il y a ceux qui y pensent et il y a ceux qui en ont entendu parler. Quelle que soit la situation, le sujet du hametz, le ferment de céréale, est centrale dans cette fête, car « On ne mangera que de l’azyme dans ces sept jours ; on ne verra dans tes confins ni du ferment de céréale, ni du levain » (Exode 13:7)

Pourquoi est-il si primordial de se débarrasser du hametz dans une célébration qui rappelle la liberté, notre délivrance de l’esclavage de l’Égypte ?

Le ferment de céréale symbolise deux principes essentiels liés à la liberté. Ils sont tellement essentiels que le simple souvenir n’est pas suffisant : nous avons besoin d’une action concrète pour les enraciner profondément dans nos âmes.

Premièrement, le hametz représente la culture égyptienne. L’Égypte était connue dans l’antiquité comme la terre du pain au levain et de la bière. Le processus de fermentation des grains de céréales ou de la pâte a besoin d’un savoir-faire unique pour obtenir un produit raffiné. Ce processus doit être contrôlé pour que la pâte ne s’abîme ni pourrisse. Les égyptiens maîtrisaient cette méthode et il y a ceux qui considèrent qu’ils étaient, en fait, les inventeurs de la technique. La Dr Tova Dickstein nous rappelle que l’historien grec Hérodote appelait les égyptiens « les consommateurs de pain » (« A new look at Hametz, Matza and everything in between», site Web de Ne’ot Kedumim). Celui-ci était visiblement le surnom des égyptiens dans l’antiquité (H.E. Jacob, «  Histoire du pain depuis 6000 ans »).

Le hametz, le ferment de céréale, a donc une relation intime avec l’Égypte. On pourrait bel et bien dire qu’il est le signe distinctif de cette civilisation antique. Ainsi, l’Égypte était connue par son pain et pas par ses pyramides ! L’abstention du hametz suppose de se détacher de la culture égyptienne, en atteignant la liberté, l’indépendance pour établir et développer une culture différente.

Dans ce cas, nous pouvons nous demander pourquoi nous n’écartons le hametz que sept jours par an au lieu de le faire à toujours ! Car il s’agit d’un symbole ; il n’est pas la chose en soi. Il évoque une notion que nous devons nous rappeler de temps en temps pour ne pas le laisser tomber dans la nuit de l’indifférence créée par la routine.

D’ailleurs, la liberté ne suppose pas de mépriser une autre culture, mais plutôt de s’émanciper d’elle. La culture égyptienne avait de nombreux composants positifs, de même que des éléments négatifs tels que l’esclavage auquel nous étions soumis. Nous prenons le positif et rejetons le négatif. L’inclusion du hametz l’année durant et son rejet pendant Pessah nous apprend ostensiblement la quintessence de l’émancipation d’une culture étrange et oppressante, aussi bien que la faveur de renforcer à ses aspects positifs.

Deuxièmement, le hametz symbolise l’attente. On a beau attendre dans de certaines circonstances, il y a de moments où cela pourrait signifier de rater l’occasion. Si nos ancêtres avaient patienté, au lieu de sortir d’Égypte au moment même où Dieu leur donna l’opportunité, nous n’aurions jamais été libérés. Il y a un verbe particulier en hébreu pour exprimer le fait de rater l’occasion : lehahmitz. Il dérive, précisément, de hametz et voilà que Rabbi Yoshia dit : « de même que l’on ne doit pas laisser fermenté la matzah, on ne doit pas laisser fermenter [= louper] une mitzvah ; par contre ; vous devez l’accomplir dès la première occasion »  (Mekhilta de-Rabi Yishmaël ; Bo, Masekhta de-Piskha 9). Nous parlons ici d’un délai négatif, causant perte et destruction. L’abstention de hametz pendant les sept jours de la fête de la liberté nous rappelle que parfois nous courons le risque de tout perdre en attendant et en traînant.

Se délier d’une culture étrange pour s’en émanciper, ainsi que saisir le moment propice pour ne pas négliger l’occasion : voici deux notions fondamentales et essentielles de la civilisation juive. Toutes les deux sont liées au hametz, le ferment de céréale, et à l’obligation de nous débarrasser de lui la veille de Pessah.

Je n’ai pas honte

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La semaine dernière ont été perpétrés en Israël deux crimes, produit de la haine et le fanatisme : l’incendie criminel d’une maison à Kafr Douma, un village de Palestiniens, où un bébé est mort brûlé, et l’attaque à coup de couteau au cours de la « Marche Gay » à Jérusalem, qui a causé la mort d’une jeune fille de 16 ans.

L’auteur du crime à la Marche Gay est un juif ultra-orthodoxe fanatique, qui avait déjà été condamné à 10 ans de prison pour un fait similaire.

Celui ou ceux qui ont brûlé la maison de famille à Douma sont apparemment des juifs religieux extrémistes identifiés avec « tag mehir » (« étiquette de prix », en faisant référence au prix à encaisser en réponse aux actes terroristes palestiniens), un mouvement d’idéologie terroriste responsable de plusieurs attentats depuis 2008. Ce dernier est le premier avec un mort, ce qu’indiquerait une exacerbation de la violence dans ce groupe.

Les mobiles des crimes sont différents, les assassins n’ont pas de rapport entre eux, les deux crimes sont toutefois liés par une idéologie d’extrémisme qui préconise la violence fondée sur des principes religieux juifs.

Il y aura ceux qui diront (en fait, ils disent déjà) que les sources religieuses juives mènent exactement à ça : la rigidité d’esprit, l’exclusion de ceux qui sont différents, le fanatisme, la violence.

Il y aura ceux qui diront (en fait, ils disent déjà) que face à tout ça ils ont honte de la religion juive et de leur judaïsme.

Voyons maintenant l’autre côté – la réponse du peuple.

Face à la violence indomptable de ces individus aveuglés par leur fureur religieuse, il y a des millions (littéralement des millions!) de Juifs qui condamnent les attaques, qui sont indignés par la violation du caractère sacré de la vie, qui de façon très active dénoncent ces actes et éduquent pour que ces phénomènes ne se reproduisent plus. Ce sont des millions qui écrivent, qui manifestent, qui enseignent, ébranlés et bouleversés par des faits qu’ils savent définir très clairement comme « non-Juifs ».

Cette réponse s’est reproduite partout dans le monde – juifs de tous les courants religieux et laïques, la plupart de la société israélienne, ainsi que des dirigeants politiques israéliens, avec la plupart des juifs du monde entier qui sont engagés dans leur judéité. Dans presque toutes les synagogues du monde ceci a fait l’objet de discussion et d’indignation, que ce soit par le discours du rabbin ou par l’attitude et les commentaires des fidèles.

Pourtant, ce n’est que deux meurtres ! Phrase dérangeante, je le sais. Mais d’un point de vue objectif, il ne s’agit que de deux meurtres causés par l’extrémisme et le fanatisme, comme tant d’autres commis chaque semaine dans le monde entier par centaines ou par milliers !

Cependant pour nous, les Juifs, une telle expression, «ce ne sont que deux meurtres », est épouvantable ! La violation d’une seule vie humaine, que ce soit un ami ou un ennemi, soit que nous soyons d’accord avec les mœurs ou la vision du monde de la victime, soit que nous nous y opposions, la violation d’une seule vie humaine est vécue par les Juifs comme un profond échec de l’humanité.

Et c’est de nos propres sources juives que nous avons appris ceci : de la Torah, des Prophètes, du Talmud, des exégètes du Moyen Age, des rabbins philosophes et législateurs de toutes les générations. Nous avons appris tout ceci de la religion et de la tradition juives. Certes, la même Torah qui prévoit la peine de mort nous a fait comprendre que nous ne devons pas l’utiliser ; le même Talmud qui détermine les types d’exécution, appelle « destructeur » à un tribunal qui condamne à mort. Le caractère sacré de la vie – voici le principe religieux juif.

Les sources religieuses juives mènent à  l’ouverture d’esprit, à l’acceptation de ceux qui sont différents, au respect, à  la quête perpétuelle de la paix.

Il y a une minorité juive extrémiste qui n’arrive pas à le comprendre et qui ne comprend pas les sources juives. Ils diminuent la gloire de Dieu dans l’Univers.

Il y a une majorité juive constante, à toutes les époques, partout, qui le comprend et le met en pratique. Nous sommes ceux qui augmentent la gloire de Dieu dans l’Univers.

Je n’ai jamais honte de mon judaïsme. Dans des situations comme la présente, que Dieu nous aide à éviter qu’elle se renouvelle, dans des situations comme la présente mon Peuple réagit pour la vie et moi, je n’ai  pas du tout honte. Loin de là, je remercie Dieu de m’avoir fait naître dans ce Peuple.

Parachote Matotte-Massaë

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Ces deux parachotes ferment l’époque du désert. Les derniers préparatifs pour entrer dans la Terre Promise, la conclusion des points non résolus du séjour dans le désert, les derniers actes de gouvernement de Moïse … voici tout ce qui conforme l’ambiance générale de la fin du livre de Nombres.

En fait, ici finit le processus de la sortie d’Égypte. La sortie n’est pas le moment où ils ont abandonné la terre d’Égypte, mais toute la période où ils n’étaient pas encore rentrés dans la terre de Canaan, toute la période « d’attente », ce couloir prolongé dans le désert. Il ne s’agissait pas d’un stade physique-géographique, mais plutôt spirituel. Ils avaient beau ne plus être physiquement là, le désert symbolisait pour eux le « long bras » de l’Égypte. Il symbolise encore leur appartenance à la vieille réalité d’oppression, d’exploitation, de dépendance, servitude, idolâtrie et injustice sociale.  Tant que cet espace-là les reliait à l’Égypte, ils étaient toujours dans la sortie. A ce moment-ci, après quarante ans de défis et de changements drastiques, ils sont déjà prêts à arrêter de sortir pour entrer dans la Terre Promise et y entamer une nouvelle société.

Comme si elle faisait partie de cette clôture, la Torah résume dans une liste les places par lesquelles les israélites ont déambulé dans le désert.

Le verset qu’ouvre cette liste présente néanmoins une structure bizarre. Il se peut que grâce à cette bizarrerie, le verset soit plein de sens.

« Moïse écrivit leurs départs vers leurs voyages, ordonnés par le Seigneur ; voici leurs voyages vers leurs départs » (Nom. 33 :2)

Les départs vers les voyages… bien, on pourrait l’accepter. Mais les voyages vers les départs ? Pourquoi la répétition du thème ? Pourquoi l’inversion des concepts ? En tout cas, nous aurions pu nous attendre  à une rédaction telle que « leurs voyages vers leurs destinations » ou quelque chose de pareil rendant l’idée de but. Mais un voyage vers le départ ? La Tora nous dit qu’ils ont voyagé vers une place de laquelle ils partiraient vers une place de laquelle ils partiraient vers une place de laquelle… etc.

En fait, cet exactement ce qui leur arriva. Ils ne voyageaient pas vers une place où ils allaient s’établir, mais qui faisait parti du processus de la sortie de l’Égypte. Toutes les places étaient des points de départs, pas un terminus.

Le voyage, c’est ça l’essentiel. Dans la traversée nous apprenons, nous changeons, nous grandissons. Le but du voyage, la Torah nous dit, est l’endroit duquel nous pouvons continuer sans nous arrêter ou stagner. Sur notre verset dit le Rabbi Yehouda Arie Leïb Alter, le Guerer Rebbe à la deuxième moitié du 19éme : « Car l’Être Humain est appelé ‘marcheur’ et il doit aller toujours d’une étape à l’autre » (Sefate Émète Bemidbar, Masaë [5645]).

Celui qui encourage à s’arrêter, à stagner, est comme celui qui n’est pas pleinement prêt à sortir de l’Égypte et qui préfère de rester dans le désert, même en argumentant que là on est plus proche du Mont Sinaï.

« A chaque génération la personne doit se considérer comme si elle-même était sortie de l’Égypte ». De cette façon ses voyages seront vers ses départs pour que ses départs lui permettent de continuer dans ses voyages.

 

 

Parchat Korah

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Le sujet de Korah et sa révolte contre Moché et Aharon me semble important à cause de la réaction du peuple d’Israël face à ses paroles.

Nous pouvons effectivement comprendre la plainte de Korah. C’est simple et donne à réfléchir. Qu’est-ce qu’il dit ? « Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le Seigneur; pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur? »  (Nom. 16:3).

Il a réclamé à Moché d’arrêter de s’approprier l’autorité et de partager équitablement le pouvoir entre tous. Il réclame la démocratie, parce que chacun peut gouverner et a le droit de le faire.

Cette demande est juste, et non seulement à nos yeux d’hommes modernes. Il a probablement été ainsi pour Moché qui, quelque temps auparavant, a rejeté le zèle du pouvoir de Joshua et n’a pas arrêté Eldad et Meidad, qui prophétisaient dans le camp quand  Moché et les soixante-dix anciens étaient dehors. En plus, il a blâmé Josué en lui disant: « Es-tu jaloux pour moi ? Plaise au Ciel que tout le peuple de l’Eternel fût des prophètes ! » (Nom. 11:29).

L’égalité et la démocratie…ce n’est pas bien?

En vérité, il ne s’agit ni de l’égalité ni de la démocratie. Le problème est que les paroles de Korah n’étaient que la Une du journal. Le contenu de ce qu’il demandait vraiment n’est évident que lorsque Moché le rappelle à l’ordre: « Est-ce trop peu pour vous que le Dieu d’Israël vous ait distingués de l’assemblée d’Israël …et vous demandez encore le sacerdoce ?! » (Idem 16:9-10).

Korah cherchait donc à avoir, lui-même et ses camarades, plus de pouvoir. Il ne cherchait pas une juste division du pouvoir.  Il voulait être Levi et prêtre en même temps.

Toutefois, l’opinion publique le voyait en tant que héros qui faisait des sacrifices au profit du peuple. Son discours et ses actes étaient ceux d’un démagogue, qui profite de la réaction émotionnelle et incontrôlée des masses pour parvenir à ses objectifs personnels.

Le peuple s’est laissé importer par l’apparence de justice, sans vraiment évaluer la situation. Le peuple jugea très vite aussi bien Moché que Korah, sans vérifier, sans considérer,  sans discerner. Si cela semble être vrai, alors il en est ainsi.

Et nous voilà face au nœud du problème qui présente notre parasha. Car cette perception rapide qui détermine le destin à partir d’une impression superficielle, présage des catastrophes. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé : la mort et la destruction.

Pourquoi le récit de Korah vient juste après l’ordonnance du tztizit (les franges qui doivent être placées sur les bords des vêtements) ?  Il y a un midrache qui explique que Korah avait pris un tallite, une robe, entièrement réalisé en tekhélète, le produit avec lequel juste un fil du tzitzit devrait être teint, et est venu demander Moché si, en dépit d’être tout en tekhélète, il devait mettre un tzitzit. Moché lui a dit qu’il devait le faire et Korah s’est moqué de lui et des lois (Talmud Jer . Sahèdrine 10:5 ; Bemidbar Rabah Korah 18:3).

Mis à part ce midrache, n’oubliez pas qu’un élément central dans le commandement de tzitzit exige : « Vous ne prospecterez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux, après lesquels vous vous égarez » (Nom. 15:39). Le cœur, dans la Bible, symbolise la pensée. Ne permettez pas que votre pensée se perde derrière les apparences qui voient vos yeux. Examinez, évaluez, discernez. Voilà la sainteté et voilà ce que nous devons faire.

L’histoire de Korah, la réaction des gens à des discours démagogiques, est l’exemple inverse de ce que la Torah attend de nous, de ce que Dieu nous a ordonné de garder à l’esprit avec le commandement des tzitzit. «Vous ne prospecterez pas » ; mais ils ont fait exactement le contraire. Ils ont été très rapidement influencés par ce que leurs yeux voyait, ont été captivés par la voix agréable d’un tyran populiste qui adoucit ses mots avec des vanités plaisantes, vitement absorbées et qui entravent le bon sens, la logique et la perception de la réalité.

Plaise au Ciel que tout le peuple de l’Eternel fût des prophètes ! Des prophètes et pas un troupeau qui suit le chant des sirènes.

Parchat Va-yigache

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Dans notre paracha il y a un petit et étrange dialogue entre le Pharaon et Yaakov:

« Pharaon dit à Yaakov : ‘Quel est le nombre de jours de ta vie?’ Yaakov répondit : Les jours de ma demeure sont de cent trente ans. Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais, et ils n’ont point atteint les jours de la vie de mes pères durant leur demeure’ ». (Gen. 47:8-9). Une réponse étonnante à une question en apparence innocente du Pharaon.

Yaakov fait une distinction entre “vie” et “demeure”, même si celle-ci n’avait pas été la question posée. Rabbi Yitzhak Karo, dans son commentaire « Toledot Yitzhak », dit que « demeure » fait référence à déambuler dans la vie (« megourime » [=demeure] est lié à « gueroute », être étranger et errant). « Vie », par contre, fait référence à une bonne vie. Yaakov est un étranger errant dont les bons jours ne sont qu’apparents. Rabbi Shimshon Raphaël Hirsch explique que « vie » est le temps où on mène à bien une tâche substantielle, tandis que « demeure » parle de la vie en général. Notre patriarche ressent que sa tâche substantielle dans la vie a été petite et mauvaise.

Yaakov dit que les jours de sa vie ont été mauvais. Mauvais ? On lui a accordé la grâce divine réservée à très peu d’élus ! Il est parvenu à surmonter des obstacles très difficiles et à renouveler son âme. Voilà pourquoi Dieu a changé son prénom pour celui d’Israël ! Il a fuit privé de tout, il est toutefois retourné riche et puissant. Il a fait la paix avec son frère et a réussi à habiter la terre de ses pères. Il a élevé douze fils qui suivent tous les sentiers de leurs ancêtres, tout en étant fidèles à Dieu. Ni Abraham, ni Yitzhak n’ont réussi ce but ! (Yichemaël, Zimrane, Yoquechane, Medane, Midiane, Yichebak, Chouah et Esav en sont la preuve). Il a retrouvé son fils bienaimé qu’il croyait mort.

Est-ce que Yaakov n’est pas conscient de ses réussites? Bien au contraire, il l’est. Il connait très bien ce qu’il a achevé. Même, il en remercie Dieu : « Je suis trop petit pour toutes les grâces et pour toute la fidélité dont tu as prodiguées ton serviteur » (Gen. 32:11). La douleur de son âme ne peut cependant pas s’apaiser par les données positives de sa vie. Il existe une différence presque abyssale entre ce que l’on voit de l’extérieure et ce que la personne ressent et vie de l’intérieur. Le sentiment intérieur profond de Yaakov est que tout va mal. Si pour le convaincre de ce qu’il va bien, on ne fait que lui montrer ses réussites, on lui dit en fait, que son sentiment n’est pas correct. Pourtant ce qu’il ressent est très fort et manifeste ! L’encourager de cette façon ne fait qu’augmenter la brèche entre ses univers intérieur et extérieur. Ceci exacerbe sa douleur.

« Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais ». C’est à partir de ce point-ci, et non pas de la tentative de le contredire, que l’on peut aider Yaakov à regarder différemment sa vie et son âme. Seulement si nous comprenons véritablement et sincèrement ce stade de douleur, nous pouvons aider celui qui exprime, comme Yaakov : Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais.

Parchat Miketz

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Simone, on ne l’entend pas.

Yossef, si puissant en Egypte, oblige ses frères à ce que l’un d’eux reste en tant qu’otage… et il choisit pour ceci, Simone. On n’entend pas de plaintes, d’oppositions, d’imploration… on n’entend ni les frères ni Simone.

Du même, il y a treize ans, quand les frères, ont jeté Yossef dans le puits, on n’a pas entendu de plaintes, de requêtes, d’imploration. Yossef aussi, il s’est tu.

Vraiment ?

Dans notre paracha, nous découvrons finalement que Yossef a crié et supplié ses frères… mais ils ne l’ont pas écouté : « certes, nous sommes coupables à l’égard de notre frère ; car nous avons vu l’anxiété de son âme ; lorsqu’il nous suppliait, nous ne voulions pas écouter.» (Gen 42 :21) Pourquoi la Torah ne nous a pas raconté, dans la parachat Vayèchev, la clameur et les implorations de Yossef ? Peut-être pour nous faire sentir le manque d’écoute de ses frères. Yossef crie et nous, comme ses frères, ne l’entendons pas. C’est avec un exemple difficile et participatif que la Torah nous fait comprendre.

Probablement Simone implore et clame, mais ils ne sont pas prêts à l’entendre.

La difficulté à entendre, la difficulté à accepter la voix de l’autre, est un sujet central dans les relations entre les fils de Yaakov.

Maintenant, ils discutent, face à Yossef, la demande de leur frère cadet qu’ils avaient jeté au puits sans vouloir l’entendre. Ils discutent et ne font pas attention aux autres. Yossef entend, Yossef comprend et ils n’en tiennent pas compte  puisqu’ils supposent que lui, il ne les comprend pas. Et, s’il ne comprend pas, cela n’a aucune importance. On peut discuter devant lui sans en tenir compte !

Par contre, Yossef est ouvert aux problèmes d’autrui. Il est ouvert aux autres et il est ouvert pour entendre et comprendre. Voilà pourquoi Yossef est capable d’interpréter des songes, le langage occulte de Dieu et de l’âme.

Les frères sont tellement centrés sur eux-mêmes qu’ils ne sont pas disponibles spirituellement, ils ne peuvent pas accorder aux autres une dimension d’existence : Yossef est là et ils ne le reconnaissent pas. Simone est là, et ils ne l’entendent pas. Jacob exclame : « vous m’avez privé d’enfants ; Yossef n’y est pas, Simone n’y est pas, vous voulez encore prendre Biniamine » (Gen 42 :36) et ses fils ne sont pas capables de le comprendre. A tel point que Reuven propose d’agrandir la perte « tu peux tuer mes deux enfants »… Ce sont les petits enfants de Yaacov! Comme si perdre trois enfants ne suffisaient pas, Reuven propose de lui faire perdre cinq!

L’épreuve de Yossef les oblige à ressentir  le manque d’attention. Ils se présentent et expliquent leurs intentions, mais lui, comme s’il n’entendait pas, décide de les accuser d’être des espions : « Nous sommes tous enfants d’un même homme, nous sommes honnêtes gens, tes serviteurs n’ont jamais été espions » (Gen 42 :11) Aucune explication n’est suffisante ; « il en est comme je vous ai dit,  vous êtes des espions ! » (Gen 42 :14). Ils éprouvent le désespoir de celui qui parle et n’est pas entendu.

La longue et dure épreuve que Yossef les oblige à subir produit chez eux une révolution spirituelle et les fait comprendre ce qu’ils n’avaient point compris jadis. Ils commencent à s’entendre, ils sortent de leur bulle et sont désormais capables de voir l’existence de l’autre.

Cette révolution spirituelle est la base du développement du peuple d’Israël, le Peuple qui est prêt à recevoir la Torah et qui la mérite, qui est prêt à entendre la voix de Dieu, à élever l’existence de l’humanité au niveau du respect vital et à lire ,nuit et jour, pour entendre et comprendre.

Parchat Vayéchève

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Normalement, nous accordons peu d’importance aux petits faits et aux mots dits comme si de rien n’était. Comme s’ils n’avaient point d’influence. Comme si une conséquence critique ne dépendait que des faits importants et réfléchis. Comme si les changements radicaux de l’histoire ne se trouvaient qu’entre les mains des personnalités renommées, expérimentées et connues dans le domaine où le changement a lieu. Voilà une façon répandue de penser.

Notre paracha nous signale une réalité toute différente. Beaucoup plus triviale, plus quotidienne, plus « nôtre ». Une réalité qui semble banale… même si elle ne l’est point.

Jacob envoie Josef chercher ses frères qui sont sortis pâturer le bétail de leur père à Chehème. Josef ne les voit pas. Il sillonne la contrée mais n’arrive pas à les trouver.

Jusqu’ici, le récit d’une situation qui pourrait nous arriver à nous aussi : on prend rendez-vous et on ne se retrouve pas. Qu’est-ce qu’on fait ? On attend, on cherche et après un certain temps, on repart. Cette fois-ci, on ne s’est pas vu, la prochaine fois on se verra.

Cependant dans la paracha, Josef rencontre un homme anonyme, dont le seul rôle est de lui poser une question : « De quoi as-tu besoin ? ».  C’est-à-dire « As-tu perdu quelque chose ? T’es-tu égaré ? Peux-je t’aider? “.  Un fait quotidien, simple, courtois mais simple. Le fait d’un homme anonyme. Un fait qui ne devrait pas provoquer une révolution transcendante. « Ils sont partis à Dothan », voilà toute la contribution de cet homme anonyme.

Vraiment la seule ?

Si cet homme ne s’était pas adressé à Josef et ne lui avait pas donné ce renseignement presque trivial, Josef n’aurait pas été vendu à l’Egypte, il ne serait pas devenu vizir, il n’aurait pas emmené son père et ses frères à la diaspora en Egypte, nous ne serions pas devenus esclaves dans une terre étrangère, nous n’aurions pas été rachetés, nous n’aurions pas reçu la Torah au Mont Sinaï, nous ne serions pas rentrés dans la Terre Promise, notre esclavage n’aurait pas été l’exemple et la base des mitzvot fondamentales de la civilisation juive telles : le Chabbat, l’amour de l’autre, le respect pour l’esclave et le dédommagement de l’esclavage, la justice judiciaire, la justice envers les démunis, la justice sociale et l’aide aux nécessiteux.

Un seul petit fait et un homme anonyme… et toute notre histoire s’est développée tel qu’elle l’a fait.

Le Saint Bénit est Il avait dit à Abraham que sa semence serait esclave dans une terre étrangère et qu’Il allait affranchir ses descendants. Mais Il n’a précisé ni le lieu, ni le temps, ni la façon dont les faits devaient se dérouler. Il n’a pas précisait qui seraient impliqués et comment allaient-ils réagir. Tout ceci est dans les mains des êtres humains.

Et cet homme anonyme, avec son fait banal, a changé l’histoire.

Nous sommes tous cet homme anonyme. Nous ne devons jamais mépriser l’importance de ce que chacun d’entre nous est capable de faire. Nous ne devons pas oublier le pouvoir de notre parole. Sa force de construction et sa force de destruction.

Parchat Vayichelah

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« Nous sommes allés vers ton frère Esaü; et il marche à ta rencontre, avec quatre cents hommes. » (Gen. 32,7 (6))

Que voulaient-ils dire, en fait, les émissaires envoyés par Jacob ? Selon une interprétation très répandue, Esaü vient à sa rencontre pour faire la guerre : « nous sommes allés vers ton frère, mais lui, il agit comme Esaü qui te hait » (Berechit Rabba, Pseudo-Jonathan, Rashi, Radak). D’autres voient dans ce compte rendu, le simple récit des faits tels qu’ils sont : « il vient vers toi comme tu vas vers lui » (Ibn Ezra, Ramban). Et il y en a qui voient la joie de la rencontre : « Esaü arrive avec un grand cortège recevoir son frère dans la joie et l’allégresse » (Rashbam, Hezkouni).

Comment transmet-on une annonce ? Comment signifie-t-on  à quelqu’un le message d’un tiers ?

Même s’il n’y a pas une seule voie, une seule façon de le faire, le porteur de l’annonce se doit de respecter trois qualités essentielles : objectivité, empathie et maitrise de la sensibilité émotionnelle.

Objectivité pour se limiter aux faits, sans rajouter ou soustraire des détails.

Empathie pour essayer de comprendre ce que ressent le récepteur des nouvelles, sans s’engager émotionnellement. Car les émotions peuvent empêcher notre compréhension de l’autre ; nous nous adonnons à nos propres sentiments et nous risquons de ne nous laisser conduire que par eux.

Maitrise de la sensibilité émotionnelle pour comprendre le remous émotif que nous éprouvons, en évitant l’intromission de nos sentiments. Nos propres émotions risquent de provoquer soit de l’éloignement et de la froideur (si l’annonce nous est difficile), soit une surexcitation, soit la décision de ne pas transmettre une information qui nous est insupportable (car nous croyons que cette révélation serait cruelle pour celui qui la reçoit). Dans d’autres mots, nos propres sentiments nous empêchent la véritable compréhension des sentiments de l’autre, éblouissent notre âme et ils peuvent même nous mener à réagir de façon paternaliste : « mes sentiments savent mieux que lui ce qui lui convient ». Et avec ceci, nous ne devons pas annuler nos sentiments ou les empêcher d’agir. Le défit reste de les maitriser.

Au moment de transmettre une annonce, soit-elle mauvaise ou bonne, ces trois qualités doivent être présentes ensemble. Si nous ne tenons compte que d’une seule, nous risquons de transmettre un message erroné, inadéquat, dont les conséquences pourraient être néfastes, même si nos intentions étaient positives… tels les émissaires de Jacob.

Ils n’ont pas réussi à mettre en pratique deux de ces trois qualités. Ils étaient objectifs dans leur rapport, mais ils n’étaient pas empathiques et ils n’ont pas maitrisé leur sensibilité émotionnelle. Ils ont décrit les faits sans tenir compte de la situation de Jacob, de la difficile relation qu’il entretenait avec son frère, de ses craintes, de la menace de mort suite à laquelle il a dû fuir la terre à laquelle il rentrait ce jour-là. Ils sentaient peut être que Jacob ferait mieux de ne pas rentrer. Ils haïssaient peut être Esaü. Ils ne voulaient peut être pas influencer Jacob et ont choisi l’objectivité. Quoi que ce soit, ils n’ont pas été sensibles, comme la situation l’exigeait.

Les émissaires de Jacob ont transmis des faits sans leur contexte. Trop d’objectivité qui n’est pas objective à la fin, puisqu’elle ne fait référence à aucun contexte. Mais celui-ci est une partie inséparable de la réalité.

Et ainsi, ils ont permis aux craintes et aux appréhensions de Jacob de teindre les données des couleurs de la destruction et de la perte. Son effroi du passé l’a envahi et lui a empêché de juger sa réalité présente, qui était différente.

Il n’est pas facile de faire agir les trois composantes de la transmission d’une annonce. L’empathie et la maitrise de la sensibilité émotionnelle sont particulièrement difficiles à gérer. Mais les ignorer, c’est rejeter l’énorme responsabilité d’être émissaire.

Pourim katane (le petit Pourim)

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Michènikhnas Adar marbime besimha”: Dès que le mois d’Adar commence; nous devons augmenter la joie. Les sentiments sont pourtant spontanés ; comment peut-on donc être joyeux par obligation ? On ne le peut pas. Ceci vient nous apprendre que les sentiments contradictoires d’angoisse et d’allégresse, de tristesse et de joie vivent imbriqués les uns et les autres dans notre âme. C’est comme dans le cas où Yaakov allait se rencontrer avec son frère Esav. D’une part il avait de la joie des retrouvailles et du retour, de l’autre il avait de la peur et de l’angoisse. Le Zohar nous explique (Va-yichlah 48-49) :

« Yaakov était l’arbre de la vie, pourquoi craignait-il ? Esav ne pouvait certainement pas le subjuguer. En plus, il est écrit : ‘Je suis avec toi pour Te protéger partout où tu iras’ (Gen.28:15), pourquoi avait-il donc peur ? En outre, il est écrit : ‘Les anges de Dieu l’atteignirent’ (Gen. 32:2) ; si les anges saints le protégeaient, pourquoi craignait-il ? Tout cela est vrai ; pourtant Yaakov ne voulait pas s’en remettre aux miracles de Dieu ; car il ne s’en considérait pas digne. La personne a beau être juste, elle doit craindre et invoquer Dieu dans sa prière ; comme il est écrit (Proverbes 28:14) : ‘Heureux l’homme qui craint continuellement, tandis que celui qui endurcit son cœur tombe dans le malheur’

Le sanctuaire, Dieu et nous

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Lorsque Moïse transmet au Peuple d’Israël les instructions de Dieu pour la construction du Michkane, le Tabernacle du désert, la Tora répète les mêmes données qu’elle avait déjà détaillées dix chapitres auparavant. La paracha Va-yak-hel semble copier de façon routinière la parasha Terouma.

Il y a pourtant une petite omission, une petite phrase que Moïse n’a pas transmise:

« Ve-assou li mikdache ve-chakhanti betokham », « Ils me feront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d’eux » (Exod. 25:8)

Comment est-ce possible qu’une telle chose si importante, ce qui est la raison et le but mêmes de la construction du Tabernacle, s’est envolé de la mémoire de Moïse ?

Il se peut pourtant qu’il n’ait pas oublié.

Il se peut que Moïse nous ait donné son interprétation de ce qui doit vraiment être cette construction.

Voyons : Dieu a dit à Moïse, avant de ne lui donner la liste de tâche à faire : « Ils me feront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d’eux ». Et Moïse, avant de ne transmettre les instructions divines pour la construction, a dit au peuple : On fera l’ouvrage pendant six jours; mais au septième jour il y aura pour vous du sacrée » [« ihié lakheme kodèche »] (Exod 35 :2)

Moïse ne dit pas que le septième jour devra être sacré, mais q’AU septième jour (« OUVAyom ha-chevii ») il y aura pour vous quelque chose de sacré (« ihié lakheme kodèche »)

Voilà le sanctuaire, le Mikdache (kodèche et mikdache dérivent de la même racine hébraïque) que nous devons construire pour que Dieu se trouve au milieu de nous. Voilà le vrai Temple portatif, le vrai lieu sacré. C’est le Chabbat, non pas un lieu physique, mais une île dans le temps, bâtie par notre âme, en mettant entre parenthèses la semaine de courses, de chagrin, d’inquiétudes, de désirs. En le faisant nous donnons lieu à une dimension différente, qui dévoile devant nous sa sacralité.

Moïse nous apprend que l’ordre de Dieu : « Ils me feront un sanctuaire » veut dire : « Au septième jour il y aura pour vous quelque chose de sacrée » qui est à nous de construire, de créer, pour que Dieu réside au milieu de nous : « pour que Je réside au milieu d’eux » .

Soyons de bons bâtisseurs du sacré.